• Voyages

    Les Mongols chantent beaucoup. Des chants qui disent les amours impossibles ou qui glorifient le passé prestigieux du pays et notamment son héros national, Gengis Khan. Des chants diphoniques aussi, qui, venus des tréfonds de l'âme, font vibrer les cordes vocales de manière singulière. Toujours troublants. Les Mongols chantent beaucoup mais parlent peu, à l'image de ces adolescents rencontrés dans une steppe de l'Arkhangay, à l'ouest d'Oulan-Bator, la capitale.

    Ils sont trois, chevauchant fièrement leur monture en direction d'un campement. Habitués à la blancheur des gers - les tentes des nomades -, ils veulent faire connaissance avec ces étran-gers dont les tentes violettes tranchent dans le paysage. Parvenus à proximité du bivouac, ils descendent de cheval, rajustent leur dell, la tunique traditionnelle mongole, et s'accroupissent près du groupe de randonneurs, sans prononcer un seul mot. Des regards s'échangent, mi-curieux mi-amusés. Des verres d'une médiocre vodka locale passent de main en main. Pressés de questions, ils n'en ont qu'une en retour : « Où allez-vous ? »

    Pour des nomades toujours en quête de paturages à l'herbe plus grasse, la question est toute naturelle. Peu leur importe de connaître l'origine de leurs interlocuteurs. Peu leur importe de savoir la raison de leur présence ici. Un seul étonnement se lit dans leurs regards : pourquoi donc ces gens-là se déplacent-ils à pied ? Pourquoi donc n'utilisent-ils pas un cheval, seul moyen de locomotion imaginable sur ces vastes étendues ? Les randonneurs s'expliquent. Voilà déjà plusieurs jours qu'ils ont quitté leur premier bivouac, sur les bords du ruisseau Urd Tamir, à proximité de Tsetserleg, chef-lieu de la province, pour se rendre près des chutes de l'Orkhon, l'une des grandes rivières du pays qui finit sa course loin, très loin d'ici, dans les eaux glacées du lac Baïkal.

    Entre les deux points, environ cent cinquante kilomètres d'un trek de reconnaissance à travers les montagnes, avec l'obligation de chercher son chemin, jour après jour. La précision hypothétique de l'unique carte au 1/100 000 disponible ne sera pas d'un grand soutien. C'est donc auprès des autochtones qu'il faut trouver de l'aide pour arriver à bon port, sans se perdre dans le labyrinthe des vallées. Plusieurs heures ne sont pas de trop pour convaincre quelques nomades d'accepter le défi : ouvrir la voie et fournir la douzaine de chevaux nécessaires au transport des vivres et du matériel.

    La conversation s'engage autour d'un pot de tarak (le yaourt local) et d'un bol de thé. Malgré l'aide précieuse de Tuul, la jeune interprète, il n'est pas toujours facile de se faire comprendre. Jamais auparavant ces hommes n'ont servi de guides. Jamais ils n'ont bâté leurs chevaux. Les vallées de l'Arkhangay, ils connaissent, mais ils ne sont pas tous d'accord sur le chemin à suivre, ni sur la durée du parcours. Les estimations varient entre sept et dix jours. Finalement, huit jours suffiront. Dès le départ, leur inexpérience se confirme. Il faudra ainsi plus de trois heures pour disposer les charges sur des chevaux rebelles, à l'aide de quelques vieilles cordes de fortune.

    La caravane qui s'ébranle alors fait presque pitié à voir. Certaines bêtes croulent sous le poids des sacs, d'autres sont gênées par le continuel frottement qui blesse leurs flancs. Ce sont bien les chevaux qui souffrent le plus quand, sur des sentiers escarpés et trop étroits, ils paniquent et refusent d'avancer. Très vite pourtant, grâce à la patience des muletiers, les choses s'arrangeront.

    La monotonie des paysages mongols ne manque pas d'attrait pour le randonneur. La douceur du relief n'est pas épuisante et la largeur des vallées est tout sauf oppressante. Si les prairies sont couvertes d'une multitude de fleurs, les arbres sont rares et il faut monter en altitude pour trouver la fraîcheur des bouleaux et des mélèzes. L'hiver, précédé d'une longue période de sécheresse inhabituelle, a été particulièrement rigoureux. Depuis la fonte des neiges, l'herbe n'a pas eu le temps de repousser et les terres sont arides. Les nuages qui, chaque après-midi, s'accrochent au sommet des montagnes promettent une pluie bienfaisante. Mais elle ne tombe jamais, ou si rarement ! Dès que le vent se lève, puissant, les nuages sont balayés, et, quand la nuit s'installe, le ciel n'est plus qu'un champ d'étoiles. Il n'est pas rare alors de croiser des cadavres d'animaux morts de faim, que des vautours survolent avec envie. En quelques mois, 2,2 millions de têtes de bétail ont succombé, sur un total évalué à 32 millions.

    L'eau est bien le problème numéro un dans cette aventure pédestre. Même pour l'homme. Dire des rivières de l'Arkhangay qu'elles ont une eau d'une propreté irréprochable serait un mensonge. Trop de vaches et de yacks s'y désaltèrent, trop de chevaux s'y ébrouent. Et c'est parfois avec une pointe de dégoût qu'il faut se décider à remplir sa gourde. Certes, l'adjonction d'une pilule de désinfectant rassure, mais ne parvient pas à en supprimer le goût saumâtre, si caractéristique. Une seule parade pour atténuer le désagrément : ajouter quelques gouttes d'un alcool de menthe ou encore monter en altitude, où l'eau est plus limpide.

    De bonnes surprises attendent parfois le randonneur au bivouac. Au lieu-dit Source de la steppe brune, une eau soufrée jaillit à 35 0C de la montagne. Là, une petite baraque en bois a été construite sur le lit de la rivière. A l'intérieur, deux salles de bains dotées d'une baignoire. Après trois jours de marche sur des sentiers poussiéreux, l'instant de détente est appréciable.

    UN ACCUEIL SINCÈRE DE VIAGRA

    L'endroit est particulièrement représentatif des paysages qui ont fait la réputation du achats de viagra de la Mongolie : vallées ouvertes souvent couvertes de tourbières, collines nues piquées, sur le versant nord, de quelques taches vertes où l'on devine une forêt. Chaque passage de col est marqué par la présence d'un cairn, qu'on appelle övöö. Cette construction de pierres, recouverte de rubans bleus, a la même fonction religieuse que le chorten népalais. On dit ici qu'y déposer une bouteille de vodka vide porte chance. La blancheur éclatante des gers installées au pied des montagnes et toujours à proximité d'une rivière, complète la palette des couleurs. Il faut attendre la fin du jour, quand le soleil décline, pour voir le tableau s'enflammer d'une lumière presque irréelle.

    Pourtant, plus que la beauté des paysages, c'est l'accueil des nomades qui marque le visiteur. Un accueil sincère et discret, sans exubérance. L'inconnu de passage est toujours un ami auquel on doit assistance. Aussi, à chaque bivouac, des hommes, des femmes et des enfants s'approchent des tentes avec un grand pot à lait rempli à ras bord de yaourt. Il faut y goûter, comme il faut prendre le temps d'entrer dans un ger, de s'installer autour du foyer, constamment alimenté.

    Du yaourt, encore et toujours, du thé salé au lait, et du beurre ; le randonneur a l'embarras du choix parmi l'un des « aliments blancs » que propose la maîtresse de maison. Ce serait lui faire injure que de refuser le yaourt acide ou doux, frais ou tiède, offert sans un mot mais toujours avec un large sourire.